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Hors Bretagne

1897 : la course des coltineurs

3 mai 2020

Thierry Lefeuvre

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«  Se coltiner quelque chose ou quelqu’un est ; se charger d’une tâche pénible ou désagréable. » Larousse

Au siècle dernier, les manutentionnaires qui portaient de lourdes charges sur les épaules étaient appelés des portefaix (porte-fardeaux).

Suivant leur spécialité les portefaix prenaient différents noms : aux Halles, ils s’appelaient porteurs ou forts. Sur les ports ils étaient débardeurs, dans les commerces on les désignait sous le nom de crocheteurs, parce qu’ils se servaient d’un crochet. Dans les entrepôts on les appelaient coltineurs car ils portaient un large chapeau couvrant la tête et les épaules nommé coltin, ils portaient les fardeaux sur ce coltin.

A Paris en février 1897, une compétition entre coltineurs est organisée au Vélodrome d’Hiver.

Il s’agit du Vélodrome d’Hiver de la Galerie des Machines construite au fond du champ de Mars pour l’exposition universelle de 1889, qui a été démolie en 1910.

Ce bâtiment était haut de 48 mètres, long de 420 mètres, d’une superficie d’environ 8 hectares qui abritait également le Palais des Arts Libéraux sous une immense nef de verre et de métal. C’est là pour les coltineurs, qu’une piste est spécialement aménagée sur la pelouse de façon à ne pas gêner l’entraînement des cyclistes.

Cette piste de 250 m est limitée par des piquets reliés par des cordes.

Le principe de cette épreuve est simple, avec une charge de 100 kg sur les épaules, les coltineurs doivent accomplir le maximum de kilomètres durant cinq jours du lundi au vendredi, le premier coltineur arrivé au 100e km est déclaré vainqueur.

Galerie des Machines

Les entrées sont payantes et seront en partie reversées aux concurrents selon leur place obtenue dans le classement. Le directeur Henri Desgrange a consenti à prêter le Vélodrome d’Hiver pour cette manifestation.

– Lundi 23 février, à 9h30 on prépare et on pèse les sacs remplis de sable et de sciure de bois.

Ils sont 29 sur la ligne de départ, parmi eux, Aural dit le Pays, vainqueur de Paris-Corbeil 32 km en 1893, Demarzat et Leborgne autres participants à Paris-Corbeil, Daubigard dit Bourdon, qui prit part aux courses de Paris-Corbeil et Paris-Reims 173 km, toujours avec 100 kg sur le dos. Et aussi Mirengarden qui en 1893 a parcouru 28 km en six heures…

Les concurrents sont revêtus d’un maillot de coton à manches longues, et d’un pantalon de toile bleue, ils portent un brassard avec leur numéro d’ordre ; ils ont sur la tête et pendant sur les épaules un coltin.

Le départ est donné à 10h00, certains trotinnent pour se dégager, mais en général l’allure est lente, le pas allongé. Tous les trois ou quatre tours, les coltineurs s’arrêtent quelques secondes aux reposoirs et ils repartent presque aussitôt.

Certains s’arrêtent au buffet boire une « verte »(absinthe) . « Dame, il faut se soutenir et l’alcool, à un pareil labeur, est vite transpiré et fait moins de mal. »

Pourtant trois d’entre eux ne boivent guère et ne s’arrêtent presque jamais ; Aural dit le Pays, Ch. Lepeut, fort de farine aux Halles, Hazen dit Robin. Ils ont parcourus 5 km dans la première heure et sont suivis de Vanbideren (Le Havre) et Leborgne (Rouen). A 11h30 arrêt, tout le monde va déjeuner.

La compétition reprend à 13h30, le public l’après-midi est composé en majeure partie de forts des Halles et d’habitants d’Aubervilliers où logent presque tous les coltineurs.

A la fin cette première journée, Aural a parcouru 22,750 km, Hazen ; 22,500 km et Vanbideren ; 22,050 km.

– Deuxième jour, mardi 24 février, deux non-partants et un abandon, le départ est donné à 8 heures, arrêt de 11 heures à 13 heures. Fin de la course à 18 heures comme hier et les jours suivants.

Aural n’est plus premier, c’est Hazen qui a pris la tête et Vanbideren est troisième à deux tours du premier, mais celui qui a couvert le plus de kilomètres dans la journée est Demarzet.

En fin de journée : Hazen 39 km (cumulés), Demarzet 38 km, Duchaussoy 36,250 km, Aural 34 km, il a dormi 4 heures dans la journée.

– Troisième jour mercredi 25 février ; ils ne sont plus qu’une quinzaine en piste.

Hazen 55,250 km, Demarzet 52 km, Aural 48 km.

– Quatrième jour, jeudi 26 février « les coltineurs attirent au Vélodrome d’Hiver un public nouveau, hier encore les secondes et les premières étaient fort convenablement garnies, il est vrai que c’est ma foi fort intéressant, ces hommes marchant à une allure de cinq kilomètres à l’heure avec un sac de 100 kg sur les épaules. » le Petit Parisien

Il reste douze concurrents sur la piste, une collecte a été faite en leur faveur ; 45 francs.

Hazen 73 km, Demarzet 67,750 km, Aural 64 km.

– Vendredi 27 février, en principe dernier jour, le classement en fin de journée : Hazen 86,750 km, Aural 77,250 km, Alloo 76 km….Le premier n’ayant pas atteint les 100 km, l’administrateur du Vélodrome d’Hiver a décidé d’accorder une journée supplémentaire à ces braves gens, afin également de grossir un peu leur escarcelle, la plus grande partie de la recette leur étant versée.

Il reste 11 concurrents «  Aural très frais, prend de temps à autre le pas de gymnastique. »

– Samedi 28 février dernier jour, Hazen en tête depuis le deuxième jour a décidé de terminer l’épreuve avec en plus du sac de 100 kg réglementaire, son fils de 4 ans qui se tiendra assis sur le sac.

C’est ce qu’il fit les six derniers kilomètres et s’arrêta après avoir franchi le 100e kilomètre en 31 heures et 7 minutes. Hazen a parcouru les 100 km à la vitesse moyenne de 3,213 km/heure

Les deux premiers : Hazen et Aural

Alloo 3e et Tenry 4e

10 classés :

100 km : Hazen (BEL)

90,750 km : Aural

89,750 km : Alloo

87,500 km : Tenry

79,000 km : Demarzet

74,000 km : Miraugarden

73,250 km : Berthe

69,250 km : Michel

67,750 km : Henry

66,500 km : Debert

photographies Jules Beau 1864-1932