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Hors Bretagne

Bayonne 1892, le premier 100 km

3 décembre 2019

Thierry Lefeuvre

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De toutes les épreuves
de courses à pied organisées en France à la suite de Paris-Belfort
(496 km) en juin 1892, les plus intéressantes étaient sans nul
doute, St Brieuc-Brest (147 km) qui a vu deux femmes à l’arrivée et
les 100 km de Bayonne, deux compétitions disputées au mois d’août.

C’est
au Pays Basque que l’on doit l’organisation du premier 100 km sur
route en France ; « la course nationale des 100 km » 
comme le titrait La Revue des sports ; 194 inscrits pour
160 concurrents sur la ligne de départ, par comparaison
Paris-Belfort annonçait 840 partants pour 379 classés et St
Brieuc-Brest 269 partants, 120 arrivants. Il y avait donc un réel
engouement pour ces premières courses à pied longues distances.

Ce même dimanche 7 août il y avait aussi une cinquantaine de participants sur les 42 km entre Quimperlé et Lorient.

Dans
les Pyrénées le parcours était le suivant :

Départ place d’Armes à Bayonne ; Ustaritz (13 km), Cambo (20 km), Espelette (24 km), St Pée (33 km), Sare (40 km), Ascain (47 km), Olhette (53 km), Béhobie (59 km), Hendaye (62 km), Urrugne (68 km), St Jean-de-Luz (74 km), Guéthary (81 km), Bidard (87 km), Biarritz (91 km), Anglet et Bayonne, soit 100 km.

Cette épreuve était réservée aux Français, inscription 2 francs qui seront remboursés à tous les coureurs arrivés à Bayonne, gratuit pour les militaires.

Au 1er : une médaille d’or offerte par le Petit Journal, une montre et une chaîne en nickel, et 500 francs en espèces.

2e :
une médaille d’argent et 200 francs

3e :
une médaille de bronze et 100 francs

4e :
médaile de bronze et 75 francs

5e et
6e : médaille de bronze et 50 francs

7e et
8e : 50 francs

9e au
12e : 25 francs

13e au 20e : 20 francs

Au
concurrent le plus âgé ayant terminé ; une médaille d’argent
offerte par le conseil d’administration de la Société
Nautique de Bayonne
.

Au
plus jeune classé ; une médaille d’argent offerte par la
Société de Tir Bayonne-Dax-Mauléon.

Au
premier militaire ; une médaille d’argent offerte par la
Société les Vélites Bayonnais.

Au
premier militaire réserviste : une médaille d’argent offerte
par par la Société d’escrime Bayonne-Biarritz

Au
premier coureur de l’armée territoriale ; une médaille
d’argent offerte par la Société de Voile de Bayonne.

Au
premier Bayonnais ; un collet-pélerine, molleton bleu
imperméable offert par Barrère frères.

Ces prix spéciaux sont cumulables avec les prix en espèces.

Le départ est donné le samedi 6 août à 19h30 aux 160 coureurs, parmi eux des Basques coiffés de leur béret et armés de leur bâton, des coureurs revêtus de costumes les plus dissemblables, et les inévitables hommes- vapeur, éclair, etc…costumés en rouge, en vert, avec des fouets à la main et des grelots à la ceinture.

Le
public venu en nombre à Bayonne souhaitait voir un Basque vainqueur.
Les hommes de la région avaient la réputation d’être des coureurs
endurants.

« 
Les premieres références aux coureurs basques datent du début du
16e siècle. A cette époque, en Angleterre, en France et sans doute
en Espagne, il était commun pour les aristocrates d’employer des
coureurs à pied pour porter les messages ou pour courir à côté de
leurs calèches. En France ce rôle était tenu habituellement par
des coureurs basques, ce qui a donné naissance au proverbe « 
courir comme un Basque » (courir vite et longtemps)…

Dans
Rabelais, Grand Gousier envoie : « le Basque, son laquais,
rapidement à la recherche de Gargantua » (fils de Grand Gousier)…

Selon
un auteur de la fin du 16e siècle «  on trouve dans la région
du Béarn, des laquais qui sont les meilleurs coureurs que l’on
puisse trouver  »…

En
1566, un laquais du vicomte François-Armand de Polignac a couru du
Puys à Paris aller et retour, environ 800 km en sept jours et
demi….

Ce
n’est peut-être pas une coïncidence si à Reims en 1592, pendant le
règne de Henri IV, roi de France originaire du Béarn, s’est
déroulée une des premières courses à pied dont la distance était
de 82 km…. »

L’ultra-endurance au
Pays Basque par Andy Milroy, traduction Steve Sulaski

A
Bayonne c’était donc le premier 100 km sur route, cependant lors du
récent Paris-Belfort, Jules Butelet était passé le premier au
100e km en 12 h 30 min, cette performance dûment enregistrée
constituait alors le meilleur chrono français sur 100 km.

Jules Butelet a terminé Paris-Belfort à la 76e place, il était boulanger à Maromme près de Rouen.

Le record du monde était détenu par l’Anglais Georges Littlewood ; 7 h 50 min 40 s le 24.11.1884 à Londres , Westminster Aquarium (indoor) pour 62 miles (99,758 km) et 8 h 00 min 00 s pour 101,227 km.

Georges Littlewood

Dès le départ trois coureurs prennent la tête dont le nommé Paillet de Limoges, ils ont pris une bonne avance sur leurs poursuivants, les contrôleurs à bicyclette ont du mal à les suivre, surtout dans les montées. Charles Terront lui-même, le vainqueur du premier Paris-Brest-Paris, qui suit les concurrents à bicyclette est abasourdi par la vitesse des coureurs dans les cols et dans les descentes.

De 1885 à 1892 Charles Terront a tenu un commerce de cycles à Bayonne. En 1893 il s’installait à Rouen où il ouvrait un commerce de cycles et d’automobiles.

Les
vingt kilomètres qui séparent Bayonne de Cambo sont parcourus à
belle allure, le soleil commence à chauffer. Après Cambo, station
thermale arrosée par la Nive, les coureurs passent à Espelette,
puis St Pée, Sare et ses curieuses grottes, le petit village
d’Ascain, mais les concurrents ne font pas de tourisme et ne
s’attardent pas à Urrugne ni à Béhobie, le village frontière près
duquel est située l’île historique des Faisans, puis Hendaye où un
contrôle fixe est installé.

Paillet
est toujours en tête avec une bonne avance sur les autres coureurs,
apès un bref repos à Hendaye il repart pour St Jean-de-Luz où il
arrive à 11 heures. Le contrôle de la course avait été installé
dans le château où Louis XIV séjourna lorsqu’il vint épouser
l’infante Maris-Thérèse.

Au
moment de l’arrivée de Paillet à Saint-Jean-de-Luz, le jardin qui
se trouve derrière la demeure du roi-soleil est plein d’une foule de
baigneurs et d’habitants qui se pressent autour du champion limousin
pendant qu’il signe le registre de contrôle. Sans prendre de repos
il se remet bien vite en route. A Biarritz, l’avance qu’il a est
conséquente et il ne devait plus être rejoint. Les quatre
kilomètres qui séparent Anglet de Bayonne sont franchis par
Paillet entre deux haies de spectateurs qui applaudissent et
encouragent le futur vainqueur.

A 14h15, il signe enfin au contrôle d’arrivée ayant parcouru les 100 km en 11 heures et 15 minutes d’un parcours particulièrement accidenté. Il améliore de plus d’une heure le record de Jules Butelet.

Bien qu’un peu désappointés en voyant que la victoire ne revenait pas à un des leurs, les Bayonnais ont chaleureusement reçu Paillet dont l’état physique était satisfaisant. Une heure plus tard ce n’est pas un Basque mais un Breton qui arrivait deuxième ; Le Scaon, de Lorient, plusieurs concurrents arrivés ensuite ont été disqualifiés par les commissaires de course pour avoir pris des voitures ou des raccourcis. La place de troisième est donc revenue après ces disqualifications au Bordelais Filet, qui comme Paillet avait pris le départ de Paris-Belfort. Le premier Basque est Garmendia, de Biarritz, arrivé quatrième.

Un
drame s’est produit peu après le départ : «  Après
avoir parcouru quatre kilomètres, un des concurrents M. Latatère de
Bayonne, élève en pharmacie âgé de vingt-sept ans, pris d’un
malaise fut transporté à l’hôpital où il décédera » 

« 
La chose est très facheuse et même déplorable ; cependant il
fallait s’y attendre. Dimanche à Bayonne une course à pied de 100
km avait été organisée, l’un des concurrents est mort de fatigue
et de chaleur, deux autres sont dans un état d’accablement que l’on
conçoit pour eux de très sérieuses craintes, enfin plusieuirs
coureurs ont été contraints d’arrêter frappés d’insolation ou
brisés de lassitude par cet excès de marche……Le même dimanche
une autre course à pied était organisée en Bretagne de Quimperlé
à Lorient et retour, 42 km. * Le gagnant est tombé mort après
avoir absorbé une boisson rafraîchissante ; les autres
coureurs ont terminés dans un état lamentable….Survenus le même
jour ces deux si tristes accidents causent une vive émotion dans le
public…

Cette
année surtout, les courses à pied ont été l’objet d’un
enthousiasme irréfléchi autant que ridicule. Le vainqueur de
Paris-Belfort a été accueilli par des ovations insensées, son nom
a même dépassé les frontières avec autant de bruit qu’un
personnage illustre…..

Les meilleurs jeux ne sont pas ceux qui durent trop longtemps, le public s’est amusé un peu avec les courses pédestres, il est temps de passer à d’autres distractions moins dangereuses… » L’univers, 10 août 1892

*
Fausse nouvelle, même si un décès était à déplorer à Bayonne,
il n’y eut aucun mort à Lorient.

Le
journal régional faisait encore plus fort :

« 
A l’issue de la course à pied de 100 kilomètres organisée à
Bayonne , trois des coureurs qui ont pris part sont morts à l’heure
actuelle, de nouveaux décès sont à redouter, en tout cas bon
nombre d’entre eux sont très malades.

Devant ces déplorables événements… nous devons féliciter M. le ministre de la guerre d’avoir interdit aux soldats de prendre part à ces concours… »

Classement
des 100 km de Bayonne : (le nombre d’arrivants n’est pas connu)

11 h
15 min : Paillet, Limoges

12 h
17 min : Louis Le Scaon, Lorient

13 h
05 min : Filet, Bordeaux

?  : Garmendia, Biarritz

Le vainqueur, Paillet, âgé de 28 ans, était peintre portraitiste à Limoges. Il participa à Paris-Belfort où il passa le premier à Château-Thierry au 84e km en 9 h 05 min . Il n’a pas terminé cette épreuve

Quant au Lorientais : «  Un défi vient d’être lancé entre un cavalier montant la jument Pomponne et Louis Le Scaon, 2e des 100 km de Bayonne, sur la distance de Paris au Havre et retour soit 426 km. » Le Petit Journal, novembre 1894

On
peut considérer que 1892 est l’année de l’émergence de la course à
pied populaire en France ; Le premier « ultra »
Paris-Belfort, 496 km en juin. Le premier 100 km ; Bayonne en
août. Le premier 24 heures à Neuilly au stade Buffalo en septembre.

Liste
non exhaustive des premières compétitions sur route en France en
1892 :

Juin :
Paris-Belfort 496 km

Juillet :
Dunkerque-Cassel et retour 60 km

Nantes-Machecoul 40 km

Valencienne-Cambrai 64 km

Doullens 50 km

St Dié-Baccarat et retour 52 km

Paris-Pontoise et retour 60 km

Coutances 65 km

Nîmes-Baucaire et retour 50 km

Constantine-Philippeville (ALG) 84 km

Cannes-Nice et retour 64 km

Marseille-Toulon et retour 134 km

Août :
Bayonne 100 km

Quimperlé-Lorient et retour 42 km

Calais 130 km

Rouen-Dieppe et retour 122 km

St Cloud-Neauphle-le-Château et retour 60 km

St Brieuc-Brest 147 km

Après les 100 km de Bayonne, peu d’épreuves de cette distance ont été organisées en France. En octobre 1892 un 100 km à Gisors dans l’Eure, vainqueur Léopold Jouen 11:08:00. En mars 1894 un 100 km à Paris au Champ de Mars, vainqueur Pierre Ewertz en 12:05:30. En 1902 un 100 km à Neuilly sur circuit de 2 km ; Émile Anthoine 11:22:09, c’est à peu près tout jusqu’à la guerre 14-18.