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Hors Bretagne

Bordeaux-Paris 1903

4 juillet 2022

Thierry Lefeuvre

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Organisée en octobre par Le Monde Sportif dont le rédacteur en chef était Pierre Giffard, cette épreuve pédestre internationale était longue de 600 km.

Pierre Giffard créateur également de la première course à pied longue distance en France ; Paris-Belfort, 496 km en 1892 et de la première course féminine Paris-Nanterre ce même mois d’octobre 1903.

Le parcours de Bordeaux à Paris reprenait l’itinéraire classique des épreuves automobiles, avec cette variante que l’arrivée était en plein centre de Paris, au pavillon Hanovre, boulevard des Italiens, où étaient installés les bureaux du journal Armes et Sports, le sponsor.

                                                                             Gallot, Péguet, Lafitte

L’itinéraire :

Libourne 32 km, Angoulême 134 km, Poitiers 245 km, Châtellerault 275 km, Tours 346 km, Blois 405 km, Orléans 476 km, Verrsailles 581 km, Suresnes et Paris.

Le départ est prévu le mardi 06 octobre à midi, en se basant sur une moyenne de 5 km/h, l’arrivée sera jugée le dimanche 11 octobre à midi.

                                                                        Péguet et Bagré

Les concurrents les plus en vue parmi les 189 inscrits :

– France : Constant Ramogé (vainqueur de Paris-Belfort), Édouard Cibot (vainqueur de Paris-Reims), Paul Lafitte (vainqueur des 24 h de Neuilly), François Péguet (vainqueur de Paris-Le Havre et retour), Yves Gallot (1000 km en 10 j 23 h) et Michel Théato, champion olympique de marathon 1900.

– Allemagne : Kalvoit et Otto Kaske.

– Pays-Bas : Jean Oudkerk.

– Belgique : Edouard Immé, Ernest Pauporte.

– États-Unis : Bob Hallen.

– Angleterre : James Ray.

– Italie : Carlo Airoldi et Jean Zuccone.

– Suisse : Friedrich Habe.

 

Immé (BEL)

 

 

C’est une course à pied non-stop à allure libre, des contrôles fixes et volants sont prévus. «  Une tenue vestimentaire sportive est recommandée, le temps des hommes-vapeur et hommes-électrique munis de grelots et autres colifichets est terminé ! »

Le délai pour être classé est de 12 jours.

                                                                            Péguet, Bollé, Bacilieri

Ils sont 92 sur la ligne de départ allée de Tourny à Bordeaux. Michel Théato est non-partant. Le Landais Marquestan d’Angelu est le plus âgé  68 ans. Henri Siret le plus jeune 16 ans.

Le starter les libère avec un peu de retard à 12h20 devant 10 000 spectateurs venus encourager les forçats de la route.

Paul Lafitte prend aussitôt la tête, c’est le détenteur du record de France des 24 h sur piste avec 185,5 km. Il arrive à Chevanceaux, 79e km, en 7 h 47 min. Les poursuivants ; Dufour, Huet, Orphée, Siret et Anthoine arrivent 1 heure plus tard.

Barbezieux, 100e km, Lafitte en 10 h 39 min, (50 km en 4 h 28 min).

                                                                       Ewertz, Cibot, Orphée, Gallot

Angoulême, 134e km ; Lafitte arrive à 7h05 le mercredi 07, après 18 h 45 min de course. Il devance Pierre Ewertz et Edouard Cibot 19 h 37 min, Louis Orphée 19 h 47 min et Yves Gallot 20 h 08 min.

La fatigue commence à se faire sentir chez certains concurrents qui ont sans doute présumé de leurs forces. La première nuit a été fatale à quelques-uns dont l’Anglais James Ray.

La météo est bonne et Paul Lafitte passe au 160e km en 24 heures. Avec sa confortable avance il s’arrête pour dormir à Mansle 183e km. Pendant ce temps, Yves Gallot surnommé «  le roi des marcheurs », sur lequel personne ne comptait arrive à Mansle et continue sans s’arrêter. Laffite après quatre heures de repos, repart à vive allure et avant Ruffec rejoint Gallot et le dépasse.

Lafitte passe au 200e km en 33 h 13 min, il a 40 min d’avance sur Gallot.

 

Paul Lafitte

 

Jeudi 08, Vivonne 224e km, Lafitte en 37 h 08 min est suivi à bonne distance de Gallot, Orphée et Cibot. Pendant ce premier tiers du parcours, on n’entend pas parler de Péguet et de Bagré. Ils vont sagement suivant ce que leur dicte leur expérience, mais ils remontent les concurrents un à un et la course se précise puique Péguet, Ewertz et Bagré sont maintenant dans les dix premiers.

Jeudi après-midi Châtellerault 278e km, Lafitte arrive à 13 heures au milieu d’une ovation délirante, il se restaure et après un court repos il repart à 15h04. Gallot arrive peu après et repart à 15h23. Le troisième est Péguet qui arrive à 17h30, se restaure, prend une douche, se repose une heure et repart à la poursuite de Lafitte et Gallot.

La météo change, la pluie fait son apparition et donc la boue sur les routes, la mi-parcours est passée à Montbazon, Lafitte toujours leader avec une moyenne de 5,559 km/h.

Yves Gallot

A Sorigny 327e km, Lafiitte arrive à 22h58 il dort et demande de le réveiller le lendemain vendredi à 3 heures.

Paul Lafitte est garçon de café, il a longtemps travaillé au Café américain et plus récemment au Pavillon d’Armenonville. Le personnel de ces deux établissements ne perd pas une miette de la course.

                                                                        François Péguet

Vendredi 09 octobre, Amboise 371e km, Lafitte ne s’attarde pas, il repart après un léger repas froid , Gallot fait de même, Péguet arrive à midi et déjeune : une salade, un bol de bouillon suivi d’un copieux bifteck, des sardines à l’huile et pour finir un café suivi d’un petit verre de vieux marc. Péguet repart à 14h15.

Le 4e beaucoup plus tard est Georges Huet de Rouen à 20h25 et repart à 21h30.

389e km, Lafitte en 72 heures se décomposant comme suit : 160 km le 1er jour, 115 km le 2e jour et 114 km le troisième.

Il passe la Loire à Chaumont apercevant la pancarte à l’entrée du pont suspendu : Défense de trotter.

                                                                          Biard, Immé, Chanteloup

Beaugency 436e km, Samedi 10 octobre : Paul Lafitte arrive à 0h50, Yves Gallot 1h20, François Péguet 1h25, Georges Huet 11h33, Emile Anthoine 11h34, Victor Bagré 12h23, Marquestan d’Angelu 17h30, Léonce Dechartre, Alfred Bollé et Marius Bacillieri à 17h38….

Saint-Lyé 479e km, Lafitte à 8h15 ne s’arrête qu’un quart d’heure. Péguet à 9 heures. Gallot à 9h30 ne s’arrête pas.

Acquebouille 499e km, Péguet qui ne court jamais rejoint Lafitte, il passe devant, Lafiitte accélère et recolle, vingt fois le même jeu recommence et vingt fois Lafitte recolle avec le sourire aux lèvres.

Péguet tente un dernier effort, contrairement à son habitude il court pendant 1500 m, Lafitte le rejoint et accélère, il prend 20 m, 50 m, 100 m…et laisse Péguet désemparé loin derrière.

500 km en 95 heures 54 min. (samedi à 12h14)

                                                                                          Georges Huet
Etampes 526e km, Lafitte à 17h08, s’arrête pour se faire masser. Péguet arrive à 17h14, repart vingt minutes plus tard et pour la première fois prend la tête de l’épreuve, il reste 74 km, Gallot est troisième il repart à 18h50.

Dourdan 543e km, C’est jour de marché et c’est la foule, Péguet à 20h25 ne s’arrête qu’une minute. Lafitte à 21h40 ne s’attarde pas non plus, Gallot à 23h34.

Châteaufort, 571e km, dimanche 11 octobre, Péguet à 2h15, l’arrivée est proche,

Buc, 3 km avant Versailles Paul Lafitte arrête et se couche dans un fossé, atteint moralement par le retour de Péguet. M. Pontié, secrétaire de rédaction du Monde Sportif, aidé de quelques amis s’emploie à faire revenir Lafitte sur sa décision. L’homme ne veut rien entendre et pour montrer qu’il n’est pas fatigué, se lève et se met à courir !

– « Je ne rattraperai pas Péguet, je ne veux pas finir deuxième et je tenterai dimanche prochain le record des 100 km » lance-t-il

– « Vous feriez mieux de tenter tout de suite celui de Versailles-Paris » lui répond M. Pontié.

Rien n’y fait et Lafitte regrettera amèrement sa décision losqu’il décidera, mais trop tard de reprendre sa progression vers Paris.

Péguet s’envole vers la victoire, et bien que fatigué monte à bonne allure la terrible côte de Picardie. Attendu vers midi c’est à 6 h 12 min 20 s qu’il franchit la ligne devant le journal Armes et Sports, malgré l’heure matinale, plus de quatre cents cyclistes et piétons ont accompagné Péguet de Versailles à Paris, et malgré un temps atroce sous une pluie fine et pénétrante, des milliers de Parisiens se sont massés aux abords du Pavillon Hanovre pour faire aux héros de la route une triomphale réception.

Yves Gallot qui est passé deuxième suite à l’arrêt prolongé de Lafitte arrive à 12 h 18 min 12 s. Gallot qui jusqu’ici n’a fait que des exhibitions de marche avec sac à dos et fusil sur l’épaule, vient de mettre à son actif une belle performance.

Émile Anthoine passe Lafitte à Versailles qui a retrouvé le moral et son énergie. C’est Anthoine qui est crédité du meilleurs temps sur les derniers 50 km du parcours qu’il boucle en 2 heures de moins que Péguet ! Anthoine arrive à 15h21 talonné par Lafitte à 15h30, ses collègues du café Américain lui apportent une superbe corbeille de fleurs.

Bordeaux-Paris 1903 :

189 inscrits

92 partants

07 disqualifiés

47 classés

Classement :

– 4 j 18 h 42 min 20 s : François Péguet (Club Athlétique Parisien), 44 ans, cocher, (5,231 km/h)

– 5 j 00 h 03 min 12 s : Yves Gallot (Paris) 40 ans, marcheur professionnel, (5 km/h) disqualifié

– 5 j 03h 06 min : Émile Anthoine (Union Athlétique Batignollaise) 21 ans, effectue son service militaire au 39e d’artillerie à Toul, (4,877 km/h)

– 5 j 03 h 15 min : Paul Lafitte (Club Athlétique Parisien), garçon de café, disqualifié

– 5 j 11 h 27 min : Victor Bagré (la Demi Lune), 35 ans, employé de commerce

– 5 j 12 h 28 min : Georges Huet (Club Pédestre Rouennais), terrassier

– 5 j 12 h 40 min : Raoul Robinet (Paris), disqualifié

– 5 j 12 h 44 min : Alfred Bollé (Club Athlétique Parisien), 42 ans, cordonnier

– 5 j 12 h 44 min : Ernest Figniez (Union Athlétique du 18e Paris), manoeuvre

– 5 j 17 h 04 min : Edouard Cibot (Club Athlétique Parisien), 20 ans, vendeur de journaux, disqualifié

– 5 j 17 h 04 min : Louis Orphée, (Colombes), 25 ans, disqualifié

– 5 j 21 h 34 min : Léonce Dechartre (Testelin), 47 ans, coiffeur

– 6 j 00 h 16 min : Marquestan d’Angelu (Anglet), 68 ans, retraité

– 6 j 00 h 21 min : Marius Bacilieri (Patronage Laïque du 11e Paris), peintre en bâtiment

– 6 j 02 h 21 min : Charles Baudet (Paris)

– 6 j 23 h 14 min : Pierre Ewertz (Paris), 28 ans, brasseur

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– 7 j 20 h 34 min : Henri Siret (Union Athlétique de Paris), 16 ans

«  Je revois encore notre camarade Siret, au départ aux Quinconces, il avait 16 ans et paraissait si fluet qu’il donnait l’impression de partir pour Libourne et non pour Paris » Emile Anthoine créateur de Strasbourg-Paris à la marche.

Henri Siret sera le meilleur marathonien Français en 1911, 1913, 1919 et 1920, vainqueur du marathon de Londres en 1908 et 8 fois premier du Tour de Paris.

                                                                                Henri Siret, photo 1906

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– 11 j 02 h 56 min : Georges Plumerant (Paris) 47e et dernier classé

14 novembre 1903 :

«  A la suite d’une enquête très sérieuse des commissaires de la course pédestre Bordeaux-Paris, les coureurs suivants ont été disqualifiés : Gallot, Lafitte, Cibot, Orphée, Baudet et Simon »

On peut rajouter Raoul Robinet arrivé 7e, disqualifié dès l’arrivée pour n’avoir pas fait tout le parcours à pied, ce qui fait 7 concurrents hors course.

– François Péguet né en 1859 à Melay (Saône-et-Loire), marié, trois enfants, était cocher au service de la comtesse Potocka qui était une adepte du footing.

Le mot footing est noté dans la presse française pour la première fois en mai 1883, le journal Gil Blas écrivait : «  ….La comtesse Emmanuela Potocka, épouse du comte Nicolas Potocki, célèbre non seulement par son esprit, son luxe, mais aussi par son salon de l’avenue Friedland à Paris, qui fut le rendez-vous d’une élite d’hommes du monde….du Tout-Paris, la comtesse Potocka, la reine des marcheuses, sa canne-sceptre à la main, est une adepte de l’exercice pédestre ; du footing… Le défi lancé dernièrement par la comtesse à cinq ou six de ses amis, il s’agissait d’aller déjeuner à Versailles et de revenir dans l’après-midi à Paris. A neuf heures la comtesse quittait son hôtel de l’avenue de Friedland, déjeunait à midi précis aux Réservoirs et revenait à Paris dans l’après-midi. Dix lieues dans la journée, la performance est bonne  »

– Après sa victoire dans Bordeaux-Paris, des propositions ont été faites à Péguet pour aller en Amérique mais il a refusé. « Je préfère garder mon métier de cocher »

– François Péguet était chez son beau-père lors de l’annonce de la course Bordeaux-Paris. Il décida de s’inscrire et son beau-père promit de lui faire cadeau de trois vaches s’il gagnait ! ce qui fut fait, en plus de la prime promise au vainqueur : 2000 francs.

– L’année suivante, en août 1904, Péguet terminera 2e de la course Toulouse-Paris, 737 km, plus longue épreuve en ligne non-stop disputée en France avant la Mil’Kil de 2008.

– On ne sait pas comment le Rouennais Georges Huet, 4e de cette épreuve, est arrivé à Bordeaux, peut-être en train depuis Paris comme beaucoup de concurrents. L’année précédente, il avait participé aux 24 heures de Neuilly, pour ce faire, il était venu à pied de la Normandie à Paris. Georges Huet était débardeur sur le port, terrassier et acrobate de foire.

Quatre-vingts ans plus tard il y aura un Bordeaux-Paris en 1983 et Paris-Bordeaux en 1984