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Bretagne

Isabelle, une ultra discrète et anonyme

11 août 2018

Albert

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Elle aligne les km, comme certains enfilent les perles, elle ne pensait pas être sous les projecteurs… (D’ailleurs ce n’est pas son truc). Elle, c’est Isabelle NEDELLEC (sans club) et voilà, et parce-que les anonymes aussi relèvent des défis on a trouvé sympa de faire une interview sur elle : à ce jour 14 marathons, plusieurs 6 heures : Plouvorn, Tinténiac, Saint Jacut les Pins, Ploeren, Rennes mais aussi 12 et 24 heures de Ploeren, Solstice d’hiver (à savoir courir toute la nuit du coucher du soleil aux environs de 17h20 et jusqu’à son lever aux environs de 09h05 le lendemain soit plus de 15 heures 30 de course), les 100 kms de Cléder à 3 reprises, la Thonnerieux (100 kms dont 50 route et 50 trail) en 2017 dont elle fut la seule féminine à terminer et j’en passe, elle s’aligne régulièrement sur les courses de la Bretagne et au delà sans prétentions

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Complétement anonyme, elle vient de s’aligner sur les 5 jours de Moussan (Aude, 11), course de 250 kms autour de Narbonne à parcourir en 5 étapes

 

– Isabelle tu cours depuis quand ?

J’ai commencé à courir fin 2007 au moment de mon divorce. C’était un véritable exutoire, avant ou après la journée de travail. L’avantage avec la course à pieds c’est que c’est une discipline qui se pratique à tout moment de la journée, il est inutile d’attendre qu’une salle ouvre ou que le coach arrive. Tu pars quand tu veux, tu reviens quand tu veux ! Et j’ai commencé par des petits footings de 15 à 20 minutes. A l’époque j’avais croisé un coureur qui se préparait pour un marathon. Irréalisable à mon sens à l’époque. Ce à quoi il m’avait répondu “Isabelle, ne dis jamais jamais”.

 

– Avant de courir, tu as pratiqué d’autres sports ?

 

J’ai pratiqué le volley alors que j’étais benjamine et avec mon équipe nous avions atteint un niveau de Nationale. En 1989, un accident au bras (plaie par arme à feu, accident pas banal à la différence de moi… rires)  m’a condamnée à ne plus pouvoir jouer, du moins pendant de très longs mois. J’avais en effet peur de sur-traumatiser ce bras qui avait déjà tellement souffert. La vie m’a ensuite conduit en région parisienne et là, le prétexte était tout trouvé pour tout stopper. Rythme de vie, horaires de travail, naissance de mes enfants… faisaient que je n’avais plus, ou plus exactement je ne me donnais plus le temps, car je crois que “quand on veut, on peut”, de pratiquer une quelconque activité sportive.

 

 

– On te voit sur toutes les courses du 29, et même au-delà, en fait tu as besoin de courir continuellement 

 

Effectivement, je ressens toujours le besoin et l’envie de courir. Je ne sacrifie cependant pas, ou du moins j’essaye, ma vie sociale. J’essaye de tout concilier, même si je dois avouer que j’organise ma vie sociale en fonction de mes courses et non l’inverse. Il est parfois difficile pour mon entourage de comprendre ce besoin que j’ai de courir continuellement. C’est une addiction, comme au sucre, un kilomètre en appelle un autre ! Même si parfois, un peu fatiguée je me promets de m’inscrire dans un club de pétanque l’année prochaine J Et pour compléter, je nage et fais du vélo.

 

 

Tu t’alignes souvent maintenant sur semi ou longue distance, c’est là que tu trouves ton allure ?

 

Je n’ai jamais été rapide, je n’ai jamais cherché la performance et au fil du temps, je me suis rendue compte que j’étais faite pour l’endurance. J’aime ces courses où l’on peut alterner course et marche et où le mot d’ordre sont convivialité et entraide. Aujourd’hui, le marathon demeure la course la plus longue qui se court vite, c’est pour cela que je vais au-delà en endurance. Car s’il y a une chose qui tient toujours chez moi, c’est la tête, je ne suis pas bretonne pour rien J

 

Tu viens de boucler les 5 jours de Moussan (rappelle- nous le kilométrage), une course « OFF », sans dossards, ni classement, ton retour sur cette course

 

En juillet 2017, j’évoque l’épreuve avec Sophie Soulier, Redeg 29. Je me dis que pour l’année de mes 50 ans, 2018, 50 kms par jour pendant 5 jours, serait un beau défi. Bingo, on s’inscrira ! Les mois passent, j’oublie. Au détour d’une course, Sophie m’en reparle. Zut, j’ai oublié. Qu’à cela ne tienne, j’appelle l’organisateur. Les inscriptions sont closes mais 2 confirmations manquent. Si elles ne parviennent pas, j’aurai un dossard. 48 heures plus tard, je décroche le sésame ! Impossible de reculer maintenant.

 

Le principe est simple : 250 kilomètres à parcourir autour de Narbonne en courant ou en marchant, le départ et l’arrivée se faisant à la salle des fêtes de Moussan. Il ne s’agit pas d’une course officielle, simplement d’un rendez-vous entre “coureurs d’ultra”, comme ils disent (rires). Certains, certaines ont un accompagnateur vélo, ce qui s’avère être une aide précieuse, le coureur n’ayant pas à se charger ! Moi, mon accompagnatrice sera ma volonté, ma tête de pioche ! Je n’ai jamais abandonné. Il est donc hors de question d’avoir parcouru 1 000 kms en voiture pour déclarer forfait.

 

Nous sommes accueillis dès le dimanche après-midi par Pierre Magne et son équipe de bénévoles. 1er apéritif et dîner, excellent traiteur soit dit en passant, tous ensemble. Puis vient l’heure du coucher dans la salle communale pour certains sous la tente ou en camping-car pour les autres. Moi, ce sera la salle communale, à la dure

 

Lundi 23 juillet, début d’une semaine sportive.

 

Chaque journée est identique : lever 6 heures, briefing 7 heures 15, départ de la course 7 heures 30.

 

Des étapes allant de 47 à 55 kilomètres, à travers les vignobles, les villages (pas très nombreux), un mélange de bitume et de chemins. 3 ou 4 ravitos sur l’étape, avec des bénévoles aux petits soins pour les coureurs. Pas de barrière horaire, simplement garder en tête que plus tôt on franchit la ligne d’arrivée, plus on a de temps pour la récupération.

 

Je cours la première étape seule, avec un peu d’appréhension sachant que le lendemain il faudra repartir et que c’est la première fois que je vais solliciter mon corps à la répétition. Les cigales sont présentes dès 8 heures 30 et la chaleur difficile à supporter dès 11 heures du matin.

Je la boucle en un peu moins de 6 heures 30 au son de la cloche. En effet, il y a un petit rituel : devant la salle, des bénévoles attendent les coureurs et sonnent la cloche à chaque arrivée. Je retrouve mes compagnons de route, on papote, on mange un bout, on se rend à la douche en navette. Eh oui, pas de douche sur place, elle est située sur le terrain de foot à plus d’un kilomètre de la salle. Puis place au repos dans la salle. Difficile de se reposer tant il fait chaud.

19 heures 30 : c’est l’heure du dîner. On échange, on rit… puis 22 heures, extinction des feux.

 

Les étapes suivantes se sont révélées identiques, à un ENORME détail près : la rencontre avec mes 2 compagnes de course : Pascale et Joëlle. Nous ferons les 4 étapes suivantes ensemble. Nous prenons chacune le départ à notre rythme et selon les jours, on se retrouve au 2ème ou au 3ème ravitaillement et terminons ensemble. Un pur bonheur de les avoir rencontrées. On court, on marche, on trottine, on s’arrête acheter du citron, on quémande une paire de ciseaux pour couper des manches de tee-shirt qui gênent, on se soutient, côte à côte, à la file indienne, peu importe, l’essentiel pour chacune étant de savoir que l’on ne se lâchera pas….

Méga coup de mou le mercredi avant de prendre le départ. Les habitués me rassure “c’est normal, tu es à la bascule, à mi-chemin de l’épreuve”. Comme j’aime entendre cela de la part de ceux qui connaissent. Allez, je vais la passer cette étape ! Go Isa, pense à ceux dont tu feras la fierté.

Appréhension le jeudi car l’étape sera la plus longue et la température va monter (le thermomètre a affiché 43°) ! Je sais que Pascale et Joëlle seront là, donc ça va le faire.

Euphorie le vendredi. Ca y est, j’y suis ! Et incroyablement, je me sens toute légère pour accomplir les 11 premiers kilomètres de cette dernière étape. Le corps a des ressources inestimables.

 

Je boucle les 5 étapes en 36 heures 42 :

Etape 1                        47 kms 500                  6 heures 29

Etape 2                        50 kms 800                  6 heures 56

Etape 3                        47 kms 100                  6 heures 25

Etape 4                        55 kms 200                  8 heures 35

Etape 5                        53 kms 400                  8 heures 15

 

Au-delà de l’aventure sportive, ce fut une merveilleuse aventure humaine. J’ai rencontré des gens formidables, des coureurs expérimentés, des novices, des jeunes, des moins jeunes, Jean-Claude non-voyant qui nous a donné une sacrée leçon de vie à tous.

Mon organisme a souffert, de nombreuses ampoules aux pieds se sont invitées au fil des jours, mais aujourd’hui, 10 jours après la fin de cette aventure, c’est mon moral qui souffre. Je ne suis pas sortie indemne moralement d’une telle semaine. Ce fut si intense qu’il va me falloir un peu de temps pour réaliser ce que je viens de vivre.

 

– Tes prochaines courses et ambitions ? 

Mes ambitions : aucune, je ne suis pas une femme d’ambitions. Simplement, me lancer un défi et aller au bout !

Mes prochaines courses : 12 heures de Ploeren et le Solstice avec certitude, pour le reste ce sera au gré de mes envies. Et comme je ne fais jamais aucune préparation spécifique, je peux décider de me lancer sur un marathon, une semaine à l’avance J J’aimerais retrouver mes amies Pascale et Joëlle à Villenave d’Ornon le 1er week-end de septembre pour un 6 ou un 12 heures mais je crains être retenue sur Brest

Mais un autre défi en tête pour 2019: 10 marathons en 10 jours en Italie 🙂

Merci aux différents photographes et à Isabelle pour ce témoignage