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Athlétisme

La vie aventureuse et la mort mystérieuse de Paule du Leslay championne de France de saut en hauteur

13 février 2019

Thierry Lefeuvre

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15 Juillet 1917, sur l’initiative du Club français, les championnats de France d’athlétisme féminin sont organisés au stade Brancion à Vanves. En réalité deux clubs parisiens seulement sont représentés : Fémina Sport et En Avant. Les résultats de ce dimanche d’athlétisme seront néanmoins enregistrés comme les premiers records de France féminin, alors que le même jour, un autre club de Paris, Académia, fait disputer les mêmes compétitions : piste, lancés et sauts au stade de la Clodo Val-d’Or à Saint-Cloud.

Si à Vanves, Suzanne Liébrard et Thérèse Brulé du Fémina Sport s’adjugèrent huit titres sur dix épreuves, à Saint-Cloud, Paule du Leslay du club Académia, gagnait le lancer du poids et le 60 m.

 

L’année suivante, le 07 juillet 1918, la Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France nouvellement créée en décembre 1917, organise les championnats de France au Stade Jean Bouin, quatre clubs parisiens participent : Fémina Sport, Académia, En Avant, U.S Voltaire. Suzanne Liébrard est titrée cinq fois sur neuf épreuves, quant à Paule du Leslay, 22 ans, elle remporte le saut en hauteur avec 1,29 m, record de France, elle se classe 3e du 80 m et 2e du 83 m haies, 4e du saut en longueur sans élan (2,19 m) et 3e du lancement du poids deux bras additionnés (12,09 m : 6,25+5,84)

Paule Fercoq du Leslay (8)

Le 29 juin 1919 au Stade Jean Bouin, Paule du Leslay conserve son titre au saut en hauteur avec 1,32 m, record de France qu’elle portera à 1,37 m en 1920.

Le 11 juillet 1920, Paule du Leslay blessée ne participe pas aux championnats de France F.S.F.S.F qui ont lieu au stade Elisabeth à Paris 14e

Les championnes de France 1920, de gauche à droite :  Geneviève Laloz (En Avant Paris) longueur

Cécile Maugars (Académia de Chartres) 80 m.  Germaine Delapierre (Fémina Sport) 83 m haies

Frédérique Kusel (Fémina Sport) longueur sans élan. Lucie Bréard (Fémina Sport) 1000 m

Thérèse Brulé (Fémina Sport) saut en hauteur.  Thérèse Laloz ( En Avant Paris) 300 m

Jeanne Janiaud (Fémina Sport) poids

Paule Fercoq du Leslay de Keranguével née en Belgique en 1895 était d’origine bretonne.

Un peu d’histoire : Innocente Charlotte du Leslay de Keranguével (1778-1843), née à Paule commune des Côtes-du-Nord, issue d’une vieille famille noble de Bretagne, épousa pendant la période révolutionnaire Jacques Marie le jeune Fercoq (1765-1860), avocat, administrateur du district de Rostrenen.

Leur fils Emmanuel Marie Fercoq né à Guingamp en 1809, fut autorisé par décret du 16 décembre 1851, à joindre à son nom celui de la famille du Leslay. Il épousa à Rennes l’année suivante Emilie Louise de Ponfilly (1829-1873) laissant une nombreuse postérité dont Louis Jules Marie Fercoq du Leslay, vicomte, né en 1863 à Saint-Brieuc, chef de bureau à la banque de France, décédé en 1947, marié en premières noces en 1892 à Valérie Poncin (1870-1967), de leur union naquit le 12 décembre 1895 à Jemelle Namur en Belgique, Paule Augusta Florentine Fercoq du Leslay, notre championne de France de saut en hauteur.

Paule du Leslay mène de pair l’athlétisme et le journalisme, en 1918, pour le journal L’Auto  elle publie : « Sport et Femmes ».… «  Voici qu’à l’époque où les circonstances contraignent beaucoup de jeunes filles et de femmes aux études ou aux situations jusque-là réservées aux hommes, l’éducation physique et le sport conquièrent les sympathies du monde féminin….. »

Durant les années 1930, elle effectue plusieurs voyages en Albanie, d’abord pour l’Intransigeant : « Le passé vivant dans l’Albanie inconnue », voyageant parfois à cheval dans les régions montagneuses, carabine en bandoulière et revolver à la ceinture . Pour l’Illustration : «  l’Albanie du Sud, terres de ruines anciennes et de futurs domaines ». En 1936, étudiant une vieille carte autrichienne de l’Albanie, elle découvre qu’au nord est écrit « inexploré » . Elle achète des chevaux et se fait accompagner par des hommes armés, boussole dans une poche et appareil photo dans l’autre, elle se rendra plusieurs fois dans ces montagnes à plus de deux mille mètres d’altitude.

  

« Avec un style divertissant et décontracté, la célèbre journaliste, a décrit avec beaucoup de respect et d’amour la vie albanaise des années 1930. En lisant les notes de Paule Fercoq du Leslay, le lecteur semble dépasser les lignes ordinaires du texte pour passer à un autre état, image, vision, imagination, film ou plutôt rêve, avec ces personnages qui marchent la nuit vers l’inconnu, l’ivresse de la nature, à la merci de la foudre du ciel et de la fureur des tempêtes. » Njëkomb

La traduction était également une de ses activités ; en Français, Fombombo (1923) de l’Américain T.S Stribling, (prix Pulitzer 1933 pour The Store), en Anglais : Angkor les villes d’Art célèbres de Georges Groslier (1932), écrivain, archéologue, ethnologue.

Si sa vie fut aventureuse sa mort resta mystérieuse. Elle possédait une propriété à Belle-Île-en-Mer « Borderune », un immeuble à Saint-Nazaire offert par un ami, elle louait également un pied-à-terre rue Frédérick-Lemaître à Paris 20e. Entre 1934 et 1936, lors d’un voyage en Albanie elle laissa la jouissance de l’immeuble boulevard Albert 1er à St-Nazaire à son ami d’alors : Jean-Pierre Muffat de Saint-Amour, comte de Chanas, un Italien d’origine savoyarde. Quand elle revint en France deux ans plus tard, le fiancé avait disparu après avoir fait main basse sur tout ce qui avait de la valeur : tapis, automobile, livres, vêtements, tapisserie, tableaux….Elle attaqua le comte en justice, celui-ci fut condamné à six jours de prison avec sursis et 55.000 francs de dommage et intérêts. Elle confiera plus tard à sa meilleure amie Alexandra Pecker : « Si un jour je n’ai plus d’argent il me reste le compteur à gaz ! »

En 1948, alors qu’elle est en résidence rue Lemaître dans le quartier de Ménilmontant, le jeudi 26 mars, Paule du Leslay prévient la concierge qu’elle part passer les vacances de Pâques au château de Courgis dans l’Yonne. Le lendemain un locataire prévient la concierge « ça sent le gaz à l’étage de la comtesse ». Le vendredi 29, ce locataire voit une clé dans la serrure de la porte de l’appartement, à l’intérieur, alors que tout le monde sait que la comtesse est partie ! La police et les pompiers arrivent et constatent que le corps de Paule du Leslay est étendu dans la salle à manger. Aucun désordre, aucune trace de violence, la comtesse est entièrement nue, maquillée avec ses bijoux. Sa main gauche tient serrée une casserole en cuivre, sur la table deux tasses vides dont sur une seule sont visibles des traces de rouge à lèvre.

L’enquête conclue à un suicide et Alexandra Pecker n’a aucun doute, « Paulette » s’est malheureusement suicidée. Mais le journal Détective est plus perplexe, les résultats de ses investigations sont en contradiction avec les affirmations d’Alexandra Pecker : Elle était surnommée par le voisinage « la comtesse nue » car elle vivait ainsi toujours parée de ses bijoux. Elle recevait beaucoup surtout la nuit dans son petit logement meublé de bahuts bretons, des veillées qui se prolongeaient jusqu’à l’aube, le matin vers 10 heures la comtesse descendait, enfourchait sa bicyclette et partait pour le bois de Boulogne. Durant la guerre, les rares fois où elle était à Paris elle reçut la visite d’officiers Allemands, elle devait même se marier avec l’un d’eux. Chaque trimestre qu’elle soit là ou à Belle-Île, un homme blond, grand et élégant, venait régler son terme.

A la libération elle apparue vêtue d’un uniforme de l’armée américaine avec le grade de lieutenant. «  Je vais m’absenter pendant longtemps, je suis nommée speakerine à la radio de Vienne en Autriche ». Elle avait obtenue cette place auprès des Américains en se tatouant elle même un numéro matricule comme en portaient toutes les déportées du camp de concentration d’Auschwitz.

La championne de France de saut en hauteur 1918-1919 a eu une vie trépidante et mystérieuse, décédée à 52 ans elle est inhumée au cimetière de Pantin.